Chère Anna,
Je sais que tu m’en veux de n’être venue à l’anniversaire de
la petite Alice mais ces derniers jours furent si intenses, une fois que je
t’aurai expliqué les raisons de mon absence, je sais que tu me pardonneras.
Je me préparais à faire le voyage jusqu’à la maison de
famille quand je reçus un télégramme d’Elias. Tu te souviens sûrement de lui,
je t’ai parlé à maintes reprises de son incroyable intelligence, que gâche
cependant un certain attrait pour les choses mystiques. Il se trouve que ce télégramme
m’inquiéta grandement par son contenu, inquiétude d’autant plus vive qu’Elias
n’avait pris contact avec moi depuis de nombreuses années. Cher Elias … il nous
a quitté dans des circonstances des plus affreuses, et je dois tirer les choses
au clair !
Il semblerait que tout soit lié à la tragique expédition
Carlyle, dont la presse a fait les échos. Tu as dû lire dans les journaux son
issue fatale qui a conduit à la mystérieuse disparition de ses membres.
Le temps presse, je voudrais être plus précise mais je dois
faire vite car j'ai encore beaucoup de choses à faire.
Je t'envoie ces quelques pages de mon journal afin que tu
comprennes.
Surtout ne t'inquiète pas, notre cousin Mickael ainsi qu'une jeune
demoiselle m'accompagnent. Ne fais rien pour me rejoindre tant que je ne te le
demande pas.
Je t'embrasse, ta sœur Angela qui t'aime.
[Extrait du journal]
Jeudi 15/01/1925
Elias, par un bref appel m'a donné rendez-vous à l’Hôtel
Chelsea à 20H… en précisant, chose étrange, que la discrétion serait de mise.
Compte tenu du caractère inhabituel de sa requête, j'ai demandé à mon cousin
Mickael de m’accompagner. Une fois sur place, le hasard nous fit rencontrer
Melle Lisa, elle aussi venu voir Elias.
Alors que nous nous rendions à la chambre de ce dernier, des
bruits, que dis-je des heurts, provenant de la chambre même d’Elias nous
alarmèrent! Tout alla si vite que je ne puis jurer que mon récit sera fidèle à
la réalité.
Alors que Lisa et moi enfoncions la porte de la chambre, un
sauvage vêtu d’un pagne et d’un turban se jeta sur nous, un long poignard en
main!! Je ne peux encore m’expliquer où
cette demoiselle trouva le courage de foncer tête baissée à l’intérieur avec
Mickael. Pour ma part, prise de panique, je ne pus qu’appeler à l’aide.
J’ai l’impression qu’il se passa une éternité sans que
personne ne vienne, quand des coups de feu retentirent!!!
Je ne sais exactement combien d’hommes étaient à l’intérieur
mais je suis sûre que mon cousin en pris au moins deux en chasse.
Malheureusement, cette course poursuite n’aboutit à rien sinon au décès d’un
des agresseurs. Le plus malheureux fut cependant l’état dans lequel on trouva
ce pauvre Elias. Il gisait ensanglanté sur le lit et portait un signe étrange
scarifié sur le front. Mon dieu... ces monstres... que lui ont-il
fait ! Il était … plus que meurtri dans sa chaire, au-delà de
l’imaginable. Je prie pour qu’il n’ait pas souffert quand ces fous s’en
prenaient à lui mais je ne me fais guère d’illusions…
Une fois le choc encaissé, je fus alertée par l’état dans
lequel la chambre se trouvait. Si les assassins d’Elias cherchaient quelque
chose, il restait une chance que nous les ayons dérangés trop tôt. Mon instinct
ne m’avait pas trompée ; et c’est bouleversée que je trouvais la sacoche
d’Elias sous son lit.
Inquiétée par l’absence de Lisa et de Mickael je les
retrouvais dans la cour, mon cousin était sévèrement blessé à l’épaule. Il nous
narra son combat pour arrêter les agresseurs, trois selon lui. En pleine nuit,
dans la neige. Il raconta comment ce sauvage lui assena un coup dans le dos et
comment une voiture noire permit aux deux autres malfaiteurs de prendre la
fuite! Malgré sa volonté d'interpeller l'agresseur indemne, il fut contraint de
le neutraliser par la force, et le sauvage ne survécut pas au coup assené.
Le temps que la police arrive, nous apprenions à la
réception qu’Elias avait réservé cette chambre le matin même. Le contenu de sa
mallette fut riche en informations mais l’agent chargé de l'affaire, le
lieutenant Martin Poole, nous la confisqua aussitôt. Bien qu’il soit le
supérieur de Mickael il se montra des plus agressifs et nous convoqua au plus
tôt pour obtenir nos dépositions.
Vendredi 16/01/1925
Comme convenu, nous nous rendîmes chez Lisa à 11h pour faire
le point sur les récents événements.
De fil en aiguille, nous nous décidâmes à ne pas laisser
l'affaire aux seules mains des incompétents censés représenter l'ordre (n'en
déplaise à mon cousin).
Beaucoup de pistes s'offrirent à nous :
- Pourquoi la carte de visite d'Edward Gavigan se
trouvait-elle dans la sacoche ? Il est le directeur de la fondation Penhew
certes, mais était-il au courant des affaires récentes d'Elias ?
- Nous avons trouvé des lettres. Une envoyée du
Caire (datant de janvier 1919) par un certain Faraj Najir à propos d'une
éventuelle vente d'objet. Une autre lettre, envoyée par Miriam Artwhight, à
l'agence Prospero Press pour informer Elias que la bibliothèque de l'Université
Miskatonic, à Arkham, n'avait pas le livre qu'il recherchait.
- Un paquet d'allumettes « Au tigre
trébuchant, 10 lantern street, Fête et amité à Shanghai ».
- La photographie d'un port.
- Une affiche pour une conférence sur l'ésotérisme
donnée par le professeur A. Cowle.
- Nous avons trouvé une note d'Emerson Import avec
le nom de Silas N'Kwane. Notre première décision fut d' interroger par téléphone Mr Emerson à propos d'un
éventuel colis envoyé par ce Silas. Il nous apprit qu'il avait rencontré notre ami Elias mais qu'il
n'avait jamais traité avec lui.
Mickael a rencontré ce matin son supérieur. Il lui a fait
part des similitudes troublant entre le meurtre d'Elias et les meurtres
attribués à Scaryface que les journaux relatent. et a obtenu deux jours de
repos. Il nous a rejoint et a contacté par téléphone la bibliothèque de
l'Université Miskatonic. Miriam Artwright l'informa qu'Elias était à la
recherche d'un ouvrage « Les sectes secrètes d'Afrique ». Ce livre
semble avoir disparu de la bibliothèque d'Arkham durant l'été 1924. L'auteur,
inconnu, serait un prêtre espagnol. Fait surprenant, les témoins parlaient
d'une odeur immonde le jour de la disparition.
Samedi 17/01/1925
Avec le temps, la blessure de mon cousin ne s'améliora pas,
au point que ce dernier fit un malaise alors que nous déjeunions. Il semblerait
que l'arme qui l'a blessé était enduite d'un poison rudimentaire...
J'ai fait une entorse au règlement pour contacter une
patiente, Adélaïde Summer, afin de lui exposer notre problème. Adélaide, qui a
été missionnaire pendant une longue période, nous mit en contact avec Soeur
Loretta, infirmière dans une congrégation religieuse installée dans Manhattan.
Face à la recrudescence des crises de Mickael, nous prîmes contact avec cette
religieuse qui, apprit-on, a officié au Kenya. De fait, elle connaissait
parfaitement le « pranga », l'arme qui blessa Michael. Elle lui
administra un soin pour ralentir le poison sans pouvoir pour autant
l'endiguer...
Soeur Loretta avait déjà vu le fameux signe sur lequel nous
cherchons des informations. Elle nous parla du culte de la langue sanglante.
Cette secte prendrait ses origines en Egypte ancienne. Le signe en question
serait une rune issue de ce culte, chassé d'Egypte au temps des Pharaons, et
qui aurait remonté le Nil pour s'installer au Kenya.
Pendant ce temps, Lisa
fit une visite chez Miss Post, une amie proche des Carlyle. C'est une chance
d'avoir avec nous une jeune dame de son rang, je crois que sans elle nous
n'aurions jamais eu la chance de pénétrer dans ce cercle fermé qu'est celui de
la bourgeoisie. Miss Post nous apprit que son amie Erica (qui ne semblait pas
s'entendre avec son frère) est convaincue que Roger n'était pas lui même avant
son départ.
Il est tard mais je vais me mettre en route pour prendre mes
appartements chez mon cousin. Bien que lui et moi ne soyons pas très proche, je
suis inquiète quant à l'évolution de son état.
Lundi 19/01/1925
Que de choses se sont passées en deux jours à peine.
Après une visite très tôt au commissariat, nous avons obtenu
grâce à Mickael la liste des professions et des lieux de résidence des victimes
de Scaryface. Nous avons ainsi pu faire une liste plus ou moins précise des
meurtres et des lieux de crime. Nous l'avons aussi mise en relation avec les événements
de la tragédie Carlyle sans pouvoir faire de liens probants pour le moment.
En dépouillant les journaux, on trouva notamment un article
du 16 janvier 1925 sur la conférence de Cowles.
Une visite à la boutique Ju-Ju nous a permis de mettre au
clair certains faits. Le propriétaire, monsieur N'Kwane, est originaire de
Mombasa. Homme aimable, il possède une impressionnante collection d'objets
africains. Nous fûmes cependant surpris par sa réaction quand nous abordâmes la
question de la marque sur le visage d'Elias. Ne voulant pas être mêlé à
Scaryface, il nous demanda de quitter sa boutique.
En fin de matinée, Kensington, le patron de l'agence
Prospero Press a accepté de nous recevoir. Pour lui, Elias était persuadé que
l'expédition Carlyle a été décimée par un culte et que tous les autres membres
ne sont pas morts.
Il nous montra un courrier d'Elias datant de l'été 1924 à ce propos.
Elias écrivit ensuite plusieurs fois pour demander des
avances de frais, depuis Nairobi le 08 aout 1924 notamment. Nous savons qu'il
expédia des télégrammes depuis l'Afrique et la Chine. Dans un de ces documents,
il dit qu'il avait assisté à l'inimaginable...
Un passage rapide à l'agence le 15 janvier lui permit de
remettre à Kensington son carnet.
Déplacements d'Elias :
peu avant le 25/06/1924 il quitte NY pour Nairobi
25/07/1924 arrivée à Nairobi
08/08/1924 il écrit à Kensington
16/08/1924 il quitte le Kenya pour la Chine
17/09/1924 il envoie un télégramme à Kensington pour une
avance
13/11/1924 il part du Caire pour rejoindre Londres
16/12/1924 il envoie une autre demande d'argent
17/12/1924 il se dirige vers NY
13 ou 14/01/1925 il arrive à NY
Parmi les documents que Kensington nous fournit, une note
envoyée dans la matinée du 19 janvier, rédigée par Emerson, informe Elias qu'il
a des informations pour lui. Il semble qu'une visite à ce monsieur serait des
plus intéressantes...
Le carnet d'Elias
«Bien des noms, bien des choses pour la même chose et
le même tout! Besoin d'aide!»
Dans ce carnet, les notes sont désordonnées, parfois illisibles.
Elias évoque des rêves effroyables, qu'il compare à ceux de
Carlyle. Il pense consulter les dossiers du psychanalyste de ce dernier.
Nous trouvons quelques noms jetés sur les pages :
- James B...ington à Scotland Yard.
- ...bl.. de Miles Shipley
-Edward Gavigan
-Mickey Mahoney au Scoop
Sans compter les divagations sur l'origine accidentelle des
Hommes et sur une protection apportée par l'Océan, on trouve d'étranges
allusions imprécises, comme :
« Ils vont ouvrir le portail »
Enfin, chose importante, des livres devraient se trouver
dans le coffre de Carlyle
Les liasses de documents nous donnent d'autres
éléments :
- Aucune trace de vie n'a été détectée sur les lieux du
massacre, aussi bien animale que végétale. Ce fait est mis en lien avec la
malédiction du vent noir.
- Une interview de Johnstone Kenyatta évoque le culte de
la langue sanglante. La
prêtresse de ce culte serait dans les montagnes et ne serait
pas originaire d'Afrique . Elle est, semble t-il, détestée par les locaux.
On parle de grandes créatures ailées et d'un dieu nommé «Sam
mariga, gare».
- L'itinéraire de l'expédition Carlyle semble être un fait
important et notamment le détour par le Kenya.
- Le Lt Mark Selkirk parle d'un massacre que même des bêtes
n'auraient pas fait.
Seuls les porteurs noirs sont morts et les blancs ont été épargnés.
Sans compter que pour lui l'accusation et le procès ayant fait suite au
massacre n'étaient qu'une mascarade.
-Au Victoria's Bar à Nairobi, un mercenaire nommé Nelson
aurait croisé Jack Brady à Hong Kong en mars 1923 !
Nous devons absolument rencontrer la sœur de Carlyle pour
discuter et avoir accès à certains documents. Il serait bon aussi de rendre
visite à Emerson et de contacter le professeur Cowle.
Il se fait tard, mes compagnons m'attendent.
[Fin de la partie le 19/01/1925 à midi]