Shanghai, plan des concessions occidentales, 1912
Samedi
22 juin
Nous
arrivons à Shanghai dans un port très agité et bondé de monde. Nous remarquons
tout de suite la forte présence militaire et l’ambiance tendue de la ville.
Nous apprenons qu’une grève généralisée a bloqué le port et que plusieurs rues
sont coupées. De nombreux ouvriers sont morts pendants ces grèves et les
mouvements anti-occidentaux sont grandissants.
Nous
sommes abordés par un jeune homme vêtu à l’occidental et parlant un anglais
quasi-parfait. Il se nomme Li-Wen-Cheng
et nous propose de servir de guide contre une petite rétribution quotidienne.
Ne connaissant pas le mandarin, nous acceptons son offre. Il nous emmène à
notre hôtel et nous renseigne sur les différents quartiers à éviter.
Nanking Road, Shanghai, photographie Lisa Mary Jane Evans
Nous
décidons d’aller tout de suite au Tigre trébuchant, adresse indiquée sur le
paquet d’allumettes retrouvé sur Jackson Elias, malgré la réticence de Li qui
semble surpris par notre choix. Le Tigre trébuchant se situe en effet dans un
quartier de bars et de tripots, bien peu recommandable pour de simples
touristes.
Arrivés
dans ce bar miteux, nous discutons avec le barman, un métis dénommé McChum, et
lui posons quelques questions sur les meurtres mentionnés dans les journaux qui
se seraient produits dans le quartier et impliqueraient une chauve souris géante.
Un peu bourru mais tout de même coopératif, il nous indique l’établissement de
Mme Gee, « Filles en fleurs », où se serait déroulé le massacre.
Gary
se dévoue pour aller dans ce tripot et glaner quelques informations. Il
rencontre Mme Gee qui lui montre la pièce du meurtre : la chambre est sens
dessus dessous, le sommier cassé, le buffet brisé et la pièce éclaboussée de
sang de haut en bas. La personne assassinée ici s’appelait Reparita Wong et
travaillait depuis peu dans l’établissement. Elle était en compagnie d’un
habitué, un commerçant des docks, qui a été massacré avec elle. Leurs corps ont
été trouvés par une autre fille, Jade. Celle-ci se confie à Gary et lui raconte
qu’avant que Reparita s’installe dans cette chambre, une fille du nom de Choi-Mei-Ling
travaillait ici avant d’être vendue dans une autre maison. Cette dernière a été
renvoyée car elle insistait pour garder un certain John, un américain, dans sa
chambre. Il s’agissait d’un client régulier : plutôt grand, cheveux
courts, le teint mâte, mal rasé, qui semblait très inquiet.
Gary
se rend alors au 140 Lantern Street, dans le nouvel établissement de
Choi-Mei-Ling, mais il apprend que cette dernière s’est enfuie.
De
retour avec nous au Tigre trébuchant, nous questionnons McChum sur Jackson
Elias dont il ne semble rien savoir. En revanche, son visage se transforme à la
mention de Jack Brady. Celui-ci lui aurait sauvé la vie. Après quelques
hésitations, il nous confie que Jack serait parti – ou en partance - pour
Rangoon avec un certain Charlie Grey qui trempe dans le trafic d’armes avec
l’Amérique du Sud. Il ne l’a pas vu depuis 2-3 semaines.
Nous
quittons le Tigre trébuchant car Li est de plus en plus inquiet. Sur le chemin,
Angela et Gary remarquent deux forment humaines avec des capuchons qui semblent
nous surveiller. Nous faisons accélérer le touc-touc mais les formes nous
prennent en chasse : les touc-toucs se séparent, Angela et moi sommes
poursuivis jusqu’à une grande artère où notre touc-touc se fracasse contre un
marchand de légumes. Encore sonnée par la chute, Angela me traine jusqu’à un
magasin où nous nous cachons. Quelques minutes plus tard, je tente de voir
comment va notre tireur de touc-touc quand j’aperçois que celui-ci s’est fait
massacrer, le bras coupé. Angela me tire à nouveau en arrière et nous utilisons
des larges corbeilles en osier pour nous dissimuler et sauter dans un autre
touc-touc. Nous arrivons saines et sauves à l’hôtel mais il s’en est fallu de
peu une fois de plus. Nous voilà mis au parfum après seulement 24 heures à
Shanghai.
Dimanche
23 juin
Li
nous retrouve au matin et nous apporte des calibres 32 comme nous lui avions
demandé. Nous ne pouvons rester dans cette ville sans armes.
Nous
décidons d’aller du côté des docks pour voir si le Vent d’ivoire, que nous
avions vu à Londres en partance pour Shanghai, serait dans les parages. Après
quelques tours dans le port et un passage à la Capitainerie, nous apprenons que
le bateau est toujours présent. N’apercevant personne sur le ponton, nous
tentons de monter à bord. Nous tombons nez à nez avec le Capitaine et apprenons
qu’il se nomme Lars Torvak. Notre baratin semble avoir peu d’effet sur lui et
Angela parvient habilement à l’endormir avec une de ses seringues. A quai
depuis plusieurs semaines, probablement bloqué par les grèves, nous trouvons un
paquebot complètement vide, sans matelots à bord. Après une fouille rapide dans
la cabine du Capitaine, nous en savons un peu plus sur le parcours du Vent
d’ivoire : il serait passé par Malte, Le Caire, la côte est africaine,
l’Australie et la Chine.
Dans
les cales, il ne reste plus que 5-6 caisses en bois estampillées Ho Fong
Import. A l’intérieur, des statuettes, des pendentifs de facture antique ou
égyptienne portent des glyphes d’un alphabet inconnu. Certaines statuettes ont
des bras supplémentaires, des malformations, d’autres, plutôt étranges,
pourraient vaguement évoquer une forme humaine. A leur vue, Gary , pourtant peu
sensible à la nervosité, s’énerve et fracasse la marchandise. Profitant du
sommeil profond de Torvak nous pouvons quitter le navire.
Shanghai, cité chinoise, scène prise sur le vif, photographie Lisa Mary Jane Evans
Nous
poursuivons notre chemin vers le Club des navigateurs. Un article du courrier
de Shanghai mentionnait la présence d’étranges créatures dans le quartier.
Arrivés sur place, nous remarquons qu’il s’agit d’un club-hôtel assez select.
En parlant avec la personne de l’accueil, nous apprenons que Charlie Grey est
venu ici il y a un an et qu’un certain John Smith y a passé deux nuits.
Vingt-quatre heures plus tard, la façade de sa chambre s’est effondrée. En
sortant, nous discutons avec un ivrogne qui prétend avoir tout vu de la
scène : c’était une nuit où il faisait particulièrement chaud, quand des
pieuvres sur pattes seraient sorties de l’eau et auraient attaqué le bâtiment.
Nous continuons alors sur les
pistes glanées dans les journaux et nous rendons au Jardin des Nuages Pourpres
d’Automne dans lequel des moines ont péri dans l’incendie d’un pavillon. Le
rapport météo de la journée décrivait une journée très humide, sans air :
des conditions peu propices aux sauts de flammes décrits dans l’article. Li
nous conseille sur le cérémoniel à suivre dans le temple. Nous parvenons à
discuter avec des moines qui nous apprennent qu’un braséro renversé serait à la
base de l’incendie. Les trois moines décédés étaient accompagnés d’un européen
dont la description pourrait correspondre à celle de ce fameux John. Celui-ci
serait parvenu à s’enfouir une fois de plus. Les bonzes étaient des
spécialistes de la littérature Sung (littérature traditionnelle médiévale,
relative au confucianisme), de l’histoire chinoise parfois liée aux sociétés
secrètes. Ces sociétés existent depuis le Moyen-Âge et se sont développées au
XIXème siècle. Mais les meilleurs spécialistes de ces sociétés secrètes sont
toutefois au musée de Shanghai.
Lundi
24 juin
Suite
à nos investigations de la veille, nous décidons d’aller au musée de Shanghai
afin d’obtenir des informations et des contacts sur les personnes susceptibles
d’en connaitre un peu plus sur les sociétés secrètes, comme les moines des
Jardins Pourpres nous l’avaient conseillé. Li qui connaît bien le conservateur
du musée, Mr Mao, m’introduit auprès de lui tandis qu’Angela et Gary visitent
le musée. Mr Mao étant spécialiste de la peinture du XVIIIè siècle, il n’a pas
de connaissances poussées sur les sociétés secrètes mais il me fournit une
liste de personnes à rencontrer qui s’y connaissent sur le sujet :
Victor Ollister : Cité chinoise,
« L’empereur Jaune » (fumerie d’opium)
Chun Xu : Cité chinoise, ancienne
bibliothécaire du Musée, connue par Li
Don-Guan Wing : Cité chinoise, boutique
Jiao Zhao : Cité chinoise, astrologue
Mu Hsien : Cité chinoise
Je
rejoins Angela et Gary qui, lors de leur visite, ont été intrigués par une
jarre représentant, au sommet d’une colline, une femme avec des protubérances
semblables à des bras et des bourrelets ainsi que des caractères
calligraphiques incomplets faisant allusion à quelque chose de féminin d’après Li.
Nous
quittons le musée et Gary nous fait part de ses inquiétudes : depuis
quelques temps, il a l’impression que nous sommes suivis par une personne en
costume traditionnel.
Shanghai, cité chinoise, scène prise sur le vif, photographie Lisa Mary Jane Evans
Nous
poursuivons notre journée en nous rendant chez M. Lung, un astrologue dont nous
avons vu l’annonce dans le journal. Intrigués par son message, Gary et Angela
ont particulièrement envie de le rencontrer, même si Li et moi sommes
dubitatifs. Nous entrons dans une pièce lourdement chargée, avec plusieurs
tentures et paravents, des tables basses et des coussins ainsi que de nombreuses
amulettes. Après avoir pris nos dates de naissance, Lung commence à nous
prédire des généralités et Angela nous surprend en prenant la parole et en
profite pour lui poser quelques questions sur Choi-Mei-Ling.
Je
ne sais pas pourquoi nous avons été attirés par ce chat qui miaulait à la
fenêtre, peut-être est ce à cause de l’attitude étrange de l’astrologue face à
lui, mais Gary décide de lui ouvrir la fenêtre et de le laisser entrer. Lung
pâlit à la vision du chat, hurle et se saisit d’un sabre qu’il brandit devant
l’animal. Le chat se transforme en une bête démoniaque d’une taille imposante,
atteignant le plafond, et se jette sur Lung. Gary et moi tirons sur le chat qui
semble insensible à nos balles. Le démon envoie valser Lung d’un coup de patte.
Li, effrayé et suivant les ordres de Gary, s’enfuie à toutes jambes de la
pièce. Angela qui faisait semblant d’être évanouie jusqu’à présent, se redresse
et déclame une litanie dans une langue inconnue, aux sonorités inquiétantes, en
direction du chat en brandissant une statuette. A ce moment là, je ne sais si
je crains plus Angela ou ce chat démon. Tandis que j’essaie de me saisir du
sabre de Lung, le démon m’ouvre le ventre d’un coup de griffe et je perds connaissance
pour un certain temps. La douleur s’emparant de moi, je n’arrive plus à suivre
ce qu’il se passe exactement. J’entrevois Gary donner des coups de sabre au
chat, qui reste de marbre et comme hypnotisé par les paroles d’Angela. Ces
formules semblent efficaces puisqu’elle parvient à le maîtriser et à le faire
partir. Le visage d’Angela n’est et ne sera probablement plus jamais le même.
Nous allons voir Lung qui semble mort tandis qu’Angela, le visage déformé et
défiguré, part en courant et en hurlant, d’un cri à glacer le sang, dans les
rues de Shanghai. Li arrive avec du secours et nous emmène à l’hôpital. Même
s’il semble choqué lui aussi, il nous raconte qu’il connaissait des légendes de
chat-démon mais qu’il n’en avait jamais vu.
Mardi
25 juin
Je
sors de l’hôpital, encore bouleversée par notre rencontre de la veille et
inquiète de l’état d’Angela dont nous n’avons aucune nouvelle.
Prenant
son petit déjeuner à l’hôtel, Gary reçoit un message de Li : un homme, le
Père Hunt, serait à la recherche d’Angela. Gary entre en contact avec cet homme
que, je rencontrerai un peu plus tard, et nous raconte qu’il a fait
connaissance d’Angela lors du trajet Londres-Shanghai. Il a été extrêmement
intrigué par les échanges qu’ils ont eus et est prêt à nous aider. Même si nous
sommes un peu méfiants à son égard, toute aide pourrait être précieuse et nous
acceptons sa proposition, surtout que Li, lui aussi, semble avoir disparu.
Encore
trop faible pour sortir, je me repose dans ma chambre alors que Gary et père
Hunt partent à la recherche de Li. Ils sont accostés par un dénommé Isoge Taro
qui dit à Gary qu’il connaît Brady de réputation et s’intéresse à Ho-Fong de
près. Il reste très mystérieux mais donne sa carte d’hôtel (le Métropole) et
son numéro de chambre pour le contacter. Gary reconnait en lui la personne qui
nous suivait depuis un certain temps. Enfin, Gary reçoit un nouveau message
« Si vous voulez revoir votre ami vivant, rendez-vous rue Kaoyang ».
Nous essayons d’alerter la police chinoise sur l’enlèvement de Li mais celle-ci
reste impassible, suffisamment occupée par les menaces de guerre civile pesant
sur la ville. A nouveau, il va falloir nous débrouiller seul.