Ma très chère Anna,
C'est le cœur lourd que je
t'écris, cette missive est porteuse de bien tristes nouvelles. Notre cousin...
ce cher Mickael... je suis désolée Anna... Tout est de ma faute...
Nous avons cru pouvoir jouer aux
justiciers et punir les monstres qui ont assassiné Elias. Nos recherches avançaient
si vite, je regrette maintenant notre manque de prudence...
Mais je dois d'abord t'expliquer
comment tout a dérapé. Une conversation téléphonique avec Kensington nous
permit d'éclaircir quelques détails sur lesquels nous butions. Nous savons
désormais que le Scoop est un organe de presse anglaise, où travaille un
certain M. Mahoney.
Quand à J. Barrington, il s'agit
d'un inspecteur de Scotland Yard. Si on ajoute
la fondation Penhew au 25 Tottenham Court Road à Londres, tout semble
nous conduire chez nos voisins anglais !
Le mauvais temps du mardi 20 ne
nous empêcha pas d'aller interroger Emerson, directement à ses entrepôts. Bien
entendu, Mickael y alla seul et fit valoir son statut d'inspecteur pour obtenir
des réponses. Bien qu'il ne soit pas officiellement chargé de l'enquête, le
stratagème fonctionna à merveille. Emerson lui révéla qu'il avait vu Elias la
semaine dernière. Notre ami faisait le tour des importateurs en relation avec
Mombasa. On apprit qu'un certain Ahja Singh lui servait de contact sur l'autre
continent, Emerson servant d'intermédiaire entre Elias et Silas de la boutique
Ju-Ju. Il nous signala par ailleurs qu'Elias fut plus qu'enthousiaste quand on
lui parla de cette boutique.
Emerson lui remit enfin une liste
de marchandises qu'Elias avait lui-même consultée. Elle indique les échanges
entre la boutique Ju-Ju et Mombasa.
Une nouvelle visite chez Silas nous confirma son partenariat
avec Ahja. Malgré tout il nia avoir jamais rencontré Elias. Il nous précisa
qu'il n'avait pas eu à faire de commande spécifique et nous éclaira sur les
marchandises qui avaient retenu notre attention dans le document
d'Emerson :
- la marchandise détruite était un masque très rare, de la
tribu des Solongh. Il nous montra une photo (un long masque en bas, avec
d'étranges dents, très longues et beaucoup plus schématiques que celles des
masques que j'avais pu observer chez lui) ;
- la marchandise dérobée était une statuette de guerrier
très commune ;
- la marchandise qui pouvait geler était un masque très
fragile. Il l'a vendue à un collectionneur allemand nommé W.J. Gerhadt.
Miss Post a repris contact avec Lisa. Elle nous offrit enfin
l'opportunité de rencontrer Miss Carlyle lors d'un vernissage, vendredi prochain.
Une chance sur laquelle nous ne comptions plus trop. Auparavant, nous avions
rendez-vous à Arkham avec le professeur Cowle.
Nous avons donc pris le train pour cette ville universitaire
et rendre visite à l’éminent professeur, Anthony Dimsdale Cowle, titulaire de
la chaire de Lockley d'ésotérisme polynésien. Il nous parla plus en détail du
culte de la Chauve-Souris des Sables, élément peut-être crucial pour notre
enquête. Il nous conta ainsi la légende selon laquelle la Chauve-Souris des
Sables (ou Père de toutes les Chauve-Souris) se serait opposé au Serpent Arc-en-Ciel
et comment celui-ci enferma Le Père de toutes les Chauve-Souris dans des
profondeurs aqueuses. Il nous parla aussi des Ecrits de Ponape, un ouvrage
concernant un mystérieux Cthulhu, en précisant que l'exemplaire serait
maintenant entre les mains d'un dénommé John Scott de Boston.
Ce sujet semble passionner Cowle. Son rêve serait de monter
une expédition à la recherche d'un lieu où des géants se rassemblaient dans l'ouest
de l’Australie. Ils y auraient fondé une vaste cité. Après sa destruction,
cette cité aurait ouvert la voie au Père de toutes les Chauve-Souris.
Cowle nous montra aussi le journal d'Arthur MacWhirr, de
Port Headland. Il mena une expédition dans le désert australien où il découvrit
d'étranges monolithes. Chose étrange, son expédition fut victime d'une
attaque ; les membres présentaient de nombreuses piqûres... or les adeptes
du culte de la Chauve-Souris des Sables sont réputés pour se munir de gourdins
sur lesquels ils fixent des dents de chauve-souris !
Nous sommes rentrés à Manhattan le jeudi 22 pour rendre un
dernier hommage à Elias. Une si pauvre cérémonie, dans un petit cimetière du
Lower East Side, réunissant une vieille tante éloignée, une bande de flics en
planque, Lisa, Mickael et moi-même. L'absence de Kensington aux funérailles
nous alerta immédiatement!
Après les funérailles, nous gagnâmes le domicile de
Kensington. Il ne s'y trouvait pas mais un clochard nous confirma qu'il avait
été pris à parti la veille par trois hommes noirs. Ces idiots de la police,
malgré l'évidente gravité de la situation, ne voulurent entreprendre quoi que
ce soit pour chercher le directeur de Prospero Press !
Alors que la situation semblait aller de mal en pis l'un de
nous fut encore victime d'une agression. Alors qu'elle sortait de la galerie de
Miss Post, cette chère Lisa ne dut son salut qu'à son incroyable vigueur et à
la présence opportune d'un couteau suisse dans sa poche! Malgré tout, son
agresseur réussi à prendre la fuite.
Une fois encore l'évidence sautait aux yeux et malgré tout
nous avons continué ! Notre obstination me semble désormais tellement
stupide au regard des risques encourus!!! Je t'avoue que depuis, mon scalpel ne
quitte plus ma poche et nous savons que nous sommes suivis en toutes
circonstances.
Vint enfin le vendredi du vernissage. Oh mon Dieu... cet
Otto Dix devrait prendre rendez-vous avec moi dans les plus brefs délais. Même
avec le temps, je ne suis pas certaine qu'aucun de mes confrères ou moi-même ne
puissions faire quelque chose pour cet artiste torturé ! Jamais la
contemplation de tableaux ne m'avait jamais mise aussi mal à l'aise et je dois
t'avouer et que je dû réprimer un instant l'envie de quitter au plus vite ce
lieu chargé de folie et de monstruosité !
A cette occasion, Miss Post nous présenta son associé,
Wilfried. Cet américain, d'origine allemande, est à l'origine de l'exposition.
Aucun d'eux ne connaissait le nom de Miles Shipley, l’artiste cité par Jackson
Elias sur son carnet. Puis nous pûmes enfin converser avec Erica Carlyle...
sous l'œil attentif de son conseiller, Bradley Grey.
Pour elle, l’origine du mécénat de son frère est à attribuer
à l'influence d'une jeune femme noire et ce, dès 1918. Selon Erica, son frère
se consumait d'une passion dévorante à l'égard de cette femme.
Il lui avait présentée comme étant une prêtresse en possession
de secrets qu'il se devait de découvrir.
Nous primes rendez-vous pour le lendemain. Nous nous sommes
rendus à sa demeure, le samedi 24 au matin, où, après une longue discussion
durant laquelle nous gagnâmes la confiance d’Erica, elle nous laissa accéder
aux livres de son frère :
-Le peuple du monolithe. Un recueil de poèmes tiré en
seulement 20 exemplaires avec une couverture très étrange.
- Un manuscrit, probablement daté du 14 ou 15ème siècle, en
français, probablement intitulé le Livre d’Yvon.
- Un journal très épais rédigé par un certain Mongomery
Krompton. Il y relate un séjour en Egypte au début du XXeme siècle. Notons que
la couverture est en peau humaine...
- Enfin le dernier livre, en vieil anglais s'intitule les Manuscrits
Pnakotiques.
Je me plongeais dans le journal et la première chose qui me
sauta aux yeux fut l'état mental évidemment très dérangé de l'auteur. Il s'agissait
de notes de voyages. En, 1804 l'auteur parcourait l'Europe avant de se rendre
en Egypte en 1805. Son voyage était motivé par le fait qu'il devait accéder à
une prêtrise à priori peu orthodoxe. Il évoque dans son journal un lieu étrange
ainsi qu'un Dieu, mais il me faudra plus de temps pour comprendre tout ça
correctement.
Lisa, quant à elle se concentra sur les poèmes. Ils étaient,
selon elle, très angoissants, ce qui au final ne m'étonne guère. Là encore, on
évoquait des monstruosités.
Complétement remis de sa blessure, Mickael finit par
reprendre son quotidien au sein de la Police, mais je suis convaincue qu'au
fond, il ne fit jamais de pause dans l'enquête que nous menions.
Alors que nous aurions dû chacun rentrer chez nous et
prendre une bonne nuit de repos, je me rendais bêtement chez Mickael. J'aurais dû
le convaincre de repousser cette visite chez Ju-Ju. Trop souriant, trop sympathique, trop cultivé … Je me
méfiais de lui depuis longtemps ! Alors que Mickael lui posait des
questions, je n’ai pu supporter plus longtemps l'attitude désinvolte de ce
menteur. Sans concertation avec notre cousin, je le provoquais ouvertement
allant même jusqu'à proférer des menaces de mort ! Pour qui me suis-je prise ? Je me
demande encore pourquoi j’ai agis ainsi alors que par mon imprudence je signais
l'arrêt de mort de Mickael ! Tout se passa très vite ! Immédiatement,
Silas sortit un grand poignard caché sous son comptoir. La lutte fut rude et je
ne sais comment, alors que je retirais mon scalpel de la carotide de ce menteur,
un bruit des plus atroces attira mon attention dans mon dos : comme
des os qu'on brise... Mikael gisait inerte sur le sol, du sang se répandait
sous sa tête... un grand noir me décolla du sol. J'aurais voulu le massacrer et
courir auprès de mon cousin mais je ne pouvais rien faire.
Ensuite je me souviens d'un rêve : un désert, un
fleuve, un grand fleuve même, des habitations cubiques en terre, des marécages,
des rizières... et des tentacules ! D'affreuses tentacules qui voulaient
m'avaler !!!
Quand je repris conscience, bien plus tard à l'hôpital, l’officier de police Gallagher m'annonça que Mickael n'était plus. Je suis tellement, tellement malheureuse. Je voudrais rentrer à la maison et quitter cette ville de fous, m'éloigner le plus possible de tout ce qui concerne de près ou de loin cette affreuse affaire. Je le voudrais mais je ne peux pas. Mickael ne me laissera pas faire ! Il aura fallu le pire pour que je comprenne Anna. Cela semble fou mais il est là, son esprit est là furieux ! Il réclame vengeance et il ne trouvera pas le repos tant que ses assassins ne seront pas punis ! Je le sais, il m'obligera à faire ce que, par ma faute, il n'a plus les moyens de faire.... Il m'en veut Anna...
Je partirai bientôt pour l'Angleterre. En quelques jours ma vie a basculé. Je t'en conjure, ne
cherche pas à me rejoindre et brûle mes lettres. Je te donnerai des nouvelles,
au nom de l'amour que tu me portes, mais par pitié, ne garde rien qui puisse te
lier à ces sombres événements !!!
Angela
PS : je joins une copie du rapport de l'inspecteur O'Brien, l'ancien coéquipier de Mickael, qui m'a libéré et avec qui je suis en contact. De même j'ai pris quelques notes sur les dossiers d'un confrère, je te le confie.
NYPD- Rapport de l'inspecteur O'Brian :
Le dimanche 25 janvier à l'ouverture de nos bureaux Miss Lisa
Jane Evans vint nous faire part de ses craintes au sujet d'une certaine Miss Angela
Hopper et de l'inspecteur Mickael Freeman dont elle n'avait plus de nouvelles depuis
la veille. En temps normal, la police n'aurait pas dépassé le stade de la
simple déposition mais il se trouve que l'inspecteur Freeman, qui était mon
coéquipier depuis deux années, m'avait déjà inquiété à son retour de congé
maladie.
Il me raconta qu'il suivait la trace d'un étrange
groupuscule qui, selon lui, était responsable du décès de Mr Jackson Elias (CF.
affaire n°12258 FG 45).
Avec l'accord du lieutenant Pool, l'agent Gallagher et moi
mettions en place une expédition pour éclaircir les choses et montrer, le cas
échéant, ce qu'il en coûte de s'en prendre à un membre de la police.
Nous arrivâmes à la boutique JuJu, au 1, Ramson Court à
Harlem, en suivant les indications de Miss Lisa Jane Evans.
La porte était fermée, nous l’avons ouverte de force. Des
traces ténues sur le sol prouvaient qu'une altercation avait bien eu lieu. De
brèves recherches nous permirent de mettre la main sur une trappe derrière le
comptoir.
Suivant un couloir empli de symboles étranges, nous
arrivâmes à une porte solidement fermée.
A deux, il nous fallut plus d'une dizaine de minutes pour
l'ouvrir et pour pénétrer dans une salle obscure. Des tambours occupaient les
trois murs de la salle. Une dalle circulaire et un étrange système de poulies
retenaient mon attention quand Gallagher et Lisa allèrent voir ce qui se
trouvait derrière un épais rideau rouge qui obstruait le fond de la salle.
A titre informatif, je, soussigné inspecteur O'Brian, assure
n'avoir jamais consommé de stupéfiant ni n'avoir bu dans l'exercice de mes
fonctions.
Aussi étrange que cela puisse paraître, des êtres, quatre,
que tout désignait comme cliniquement en état de décomposition avancée se
jetèrent sur nous depuis la pièce cachée par le rideau. Nous dûmes faire usage
de nos armes et redoubler d'acharnement pour les neutraliser.
Miss Evans nous affirma que l'un de ces être était le
dénommé Kensington, porté disparu depuis le jeudi 22 janvier (cf. affaire n°
12278 FG 13).
Dans la pièce arrière, en plus d'un être quasi-momifié, nous
trouvâmes le corps mort de l'inspecteur Mickael Freeman. Les causes du décès sont,
selon mes observations, à imputer à un violent coup dans la maxillaire
inférieure. Alors que les lois de notre Seigneur l'interdisent, l'inspecteur Freeman se réanima à son tour et nous fument obliger de le neutraliser lui aussi.
L'armoire de la pièce contenait les pièces
suivantes :
- une grande robe (pièce à conviction 1)
- une paire de gants avec de longues griffes (pièce à
conviction 2)
- un masque en bois (pièce à conviction 3)
- un sceptre (pièce à conviction 4)
- une sorte de serre tête épais en métal (pièce à conviction
5)
- une note signé « Le grand prêtre de la Chauve-Souris des Sables (pièce à
conviction 6)
- un livre intitulé « Sectes secrètes d'Afrique »
(pièce à conviction 7)
Par la suite, je voulus examiner ce que cachait la dalle. Un
cri perçant retentit des profondeurs abritées par cette dalle mais l'irruption
de trois individus me contraint à laisser tomber la plaque, condamnant ce
qu'elle enfermait.
L'altercation qui s'en suivit avec les trois individus est
relatée dans le rapport n° 122796 LP 02, compte-rendu enregistré au retour de
l'expédition par le Lt Martin Pool. L'un d'eux portait le corps inanimé, mais
en vie, d'Angela Hopper. Il a pu être contrôlé et arrêté. Les deux autres
combattants ont été tué au cours de l’altercation. Elle fut conduite à
l'hôpital dans les plus brefs délais.
L'arrivée de l'équipe de renforts se solda par un incendie
qui ravagea définitivement la boutique
Ju-Ju.
Ju-Ju.
A son réveil, Miss Angela Hopper insista pour concourir à
l'enquête. Je la conduisis au bureau des affaires médicales où un mandat lui
permit d'accéder aux dossiers du Docteur Huston.
Nous pûmes interroger le seul homme arrêté à la boutique
Ju-Ju : un certain Kilima. Notons que sa langue avait été en partie
tranchée.
Un traducteur Kenyan nous assista, mais nous n'obtînmes
aucune information avant l'intervention du docteur Hopper. Par l'hypnose,
Kilima nous dit que les Askari (policiers) étaient dangereux selon lui.
Il déclara qu'une bête nommée Chacota attendait une offrande
dans le puits de la boutique Ju-Ju.
Il nous dit aussi qu'il y a plusieurs Grand Prêtres et qu'ils
forment une « force ». Il parla aussi de Kuyu, ce qui semble être un
lieu.
Selon le docteur Hopper, l'individu avant l'hypnose n'était pas en
pleine possession de ses moyens.
Notes prises sur les dossiers du Dr Huston
Praticien : Angela Hopper
Les notes de mon confrère le Dr Huston sur Erica Carlyle
relatent des consultations anodines.
La jeune femme se préoccupait de ses relations avec son
frère et il apparaît, à travers les compte-rendus, qu'elle dispose d'une
remarquable capacité d'adaptation.
Les notes au sujet de Roger Carlyle (une vingtaine
d'entretiens en moins d'un an) mettent en avant les tarifs exagérés de mon
confère qui ont sûrement abouti à un chantage de patient sur le docteur (ce qui
explique sa présence au sein de l'expédition Carlyle).
La prêtresse dont parle la sœur de Roger est nommée
« M'Weru » dans ses notes.
[Fin de la partie le 26/01/1925]